Une réforme du collège où l’EPS n’est plus que l’ombre d’elle-même
Avec le déploiement de tous les éléments institutionnels de la réforme des collèges, il est désormais possible d’en évaluer les conséquences sur l’EPS. La troisième matière en volume horaire sera réduite à un statut scolaire annexe au travers de mesures qui tendent à la satelliser, tout en la maintenant au collège au service d’ambitions éducatives qui se trompent sur les moyens à mettre en œuvre. Cette éviction sauve les apparences, mais fragilise une EPS vidée de ses spécificités, réduite à s’associer aux autres disciplines pour exister et dépourvue de son identité propre.
Première étape, la réforme du collège : d’une EPS à une EPI.
Pour rassurer la profession les horaires restent inchangés, mais soit dit en passant, qu’en aurait-il été si le SNEP n’était pas intervenu pour maintenir les 4 et 3 heures d’EPS au collège ? La subtilité est à chercher ailleurs, non pas dans les heures d’enseignement obligatoires, mais dans la part effective d’enseignement de l’EPS. C’est-à-dire, dans le volume horaire où les élèves feront véritablement de l’EPS. C’est sur ce point qu’il convient d’être attentif, et du coup nous nous apercevons que les enseignements complémentaires qui proposent des enseignements pratiques interdisciplinaires, présentés comme le remède moderne à un collège accablé de tous les maux, vont forcément priver les élèves d’une partie de leur quota horaire. Selon les contextes, ou plus précisément selon les négociations qui auront lieu dans les conseils pédagogiques, la part de participation de l’EPS sera variable. Lorsqu’on sait que l’EPS peut intégrer la plupart des EPI, il y a fort à parier qu’elle sera partie prenante de ces projets, mais au détriment de la discipline elle-même. Et même si le discours consiste à dire que nous ferons quand même de l’EPS, mais autrement, il est sûr que nous en ferons moins avec les élèves et que ce ne sera plus vraiment de l’EPS.
Il ne s’agit pas de nier l’intérêt de l’interdisciplinarité, qui existe déjà et qui possède des atouts pédagogiques indéniables, mais dans la réforme, les EPI présentent des facteurs d’inégalité qui vont à l’encontre de l’ambition de les réduire. C’est bien le principe même d’autonomie des établissements qui accentue les inégalités au sein des disciplines et entre les établissements. La systématisation des EPI avec leur dimension locale, bouleverse l’unité éducative sur le territoire et dégrade l’offre de formation accordée à tous les élèves.
Quant à l’accompagnement personnalisé qui fait miroiter des conditions d’enseignement améliorées, dont on peut légitimement douter compte tenu de sa mise en œuvre, il sera également source de privation pour les élèves. Par ailleurs, peut-on raisonnablement croire que l’EPS sera naturellement sollicitée pour permettre à tous les élèves de bénéficier d’aménagements particuliers permettant de mieux apprendre ? Cette part de l’enseignement complémentaire, n’est-elle pas dans les esprits déjà attribuée aux disciplines « fondamentales », ce retour au fondamental étant clairement affiché dans la réforme ? Il y aura toujours des équipes qui parviendront à grappiller des heures pour proposer un soutien en natation par exemple, mais en défaveur de qui et à quel prix ?
Dans ce contexte, insidieusement l’Education Physique et Sportive se mue en une Education Physique Interdisciplinaire.
La deuxième étape concerne les programmes disciplinaires et sur ce plan, l’attaque vient de l’intérieur pourrait-on dire : d’une EPS prescriptive à une EPS contributive.
D’abord revenons sur la méthode qui en dit beaucoup sur l’état d’esprit de la réforme. Le CSP, instance proclamée indépendante, propose une première version de programmes avec les contraintes de rédaction qu’il faut intégrer, soit. Soumis à la profession par une consultation nationale, doublée à certains endroits par des consultations académiques, les différents acteurs s’en emparent et formulent des avis. Mais comme par enchantement, la version publiée non seulement ne tient absolument pas compte des retours critiques, mais surtout est complètement transformée. Les propositions issues de la profession sont balayées, nous voici devant des programmes nouveaux au mépris de ce qui devait permettre une démarche de transparence, prétendument voulue par le ministère au travers des missions attribuées au CSP. C’était sans compter sur l’influence de l’Inspection qui a su imposer ses choix pour produire un texte consternant.
Venons-en donc aux textes eux-mêmes, ou du moins ce qu’il en reste. L’harmonisation revendiquée par la consultation est certes appliquée, mais prend une forme déconcertante et poussée à l’excès elle se réduit à une uniformité emprunte de généralités. L’EPS fait l’objet d’un traitement qui ne la met pas en valeur, elle est la seule à subir une telle dégradation de ses contenus et un tel appauvrissement de son potentiel éducatif.
Désormais le parcours de formation est réduit à quatre champs apprentissage alors que la première version prévoyait huit compétences. En terme de formation à une culture commune, on peut aisément en estimer le délitement et évaluer la perte que cela représente pour les élèves.
Les attendus de fin de cycle s’expriment sous une forme tellement générale qu’ils perdent de leur sens et sont applicables finalement tout au long du cursus sans grande distinction. Ce laxisme engendrera une grande disparité, chacun mettra derrière ces attendus bien trop imprécis ce qui l’arrangera et rendra le travail de concertation au sein des équipes difficile.
Par contre, la contribution de l’EPS au socle, qui préside aux disciplines, est clairement affichée. Le socle commun est décliné pour l’EPS, puis détaillé par domaine comme compétences à travailler. Et comme si ce n’était pas suffisamment explicite, les croisements entre enseignements sont développés pour le cycle 4 sur une pleine page alors que le volume global du texte reste un des plus faibles. La part accordée à l’interdisciplinaire devient prioritaire et c’est là que les EPI refont surface. Comment pourrait-il en être autrement ? Si l’EPS doit partager son temps dans des projets qui mélangent les contenus avec d’autres disciplines et que ses propres contenus sont vidés de toute spécificité, elle ne pourra plus que se raccrocher à cette interdisciplinarité qui lui donnera sa seule raison d’être. Dès lors, que dire aux élèves qui viennent en EPS pour trouver un lieu d’expression physique au travers des APSA qui les motivent et les incitent à s’impliquer ? Comment s’adresser à ceux qui ne maîtrisent pas suffisamment les contenus pour parvenir à les croiser ? Inévitablement la coéducation qui est demandée, mettra à distance ceux qui ne possèdent pas cette capacité à manipuler les contenus pour les utiliser au sein d’un thème de travail commun. La dérive du système préconisé isolera ceux qui sont déjà en difficulté et aggravera la situation des élèves aux compétences fragiles qui demandent une certaine lisibilité dans les apprentissages.
L’EPS qui pouvait faire valoir un contenu spécifique auprès d’élèves qui identifiaient clairement les attentes, se verra dissoute dans une « métapédagogie » qui la rendra opaque et l’éloignera des élèves qui pouvaient y trouver un lieu de réhabilitation scolaire.
La dernière étape est celle de la certification, où l’EPS se verra contrainte de n’exister que par son rattachement au socle, sans valoriser ses contenus spécifiques : d’une EPS présente au DNB à une EPS réduite à l’évaluation pour le socle.
En tant que telle l’EPS disparaît du DNB, c’est presque incroyable mais c’est ce qui est envisagé. Le comble c’est qu’elle le sera uniquement par l’intermédiaire des EPI et donc à l’oral au cours d’une épreuve de vingt minutes ! A vouloir à tout prix correspondre à la logique du socle, l’EPS est phagocytée par le socle lui-même. Les contenus de l’EPS importent peu (d’ailleurs que sont ils devenus ?), ce qui prime avant tout c’est le niveau de maîtrise du domaine du socle dans lequel elle figure.
Le système d’évaluation des EPI, quel que soit le contenu d’apprentissage, portera pour la moitié des points sur la qualité d’expression orale. L’élève est amené à choisir son projet, s’il ne souhaite pas y intégrer l’EPS il pourra très bien s’en passer. Dès lors, comment considérer que l’EPS de devienne pas optionnelle, si désormais elle ne concerne pas tous les collégiens ? Dans le dossier de présentation du Brevet il nous est expliqué que les compétences évaluées sont adaptées à la poursuite d’études et au monde actuel. Nous devons sans doute en déduire que pour se préparer à son futur, l’élève peut se passer d’une éducation physique au détriment de sa formation personnelle et culturelle.
C’est limpide : une réforme des collèges qui nie les disciplines en réduisant les horaires et en organisant une co-disciplinarité qui brouille la lisibilité de l’EPS ; des programmes qui vident notre discipline de toutes ses spécificités et la réduisent à un rôle seulement collaboratif ; puis un DNB qui ne la maintient qu’au prix d’une dénaturation qui la rend méconnaissable. Exsangue, dépourvue de sa substance éducative elle ne peut s’appuyer sur rien qui puisse lui donner une crédibilité et est vouée à se laisser balloter au gré des opportunités pour espérer se maintenir.
Est-ce cela que nous voulons pour nos élèves, pour les citoyens de demain, pour notre discipline ? Nous ne pouvons pas laisser faire. Et même si la stratégie évidente et grossière du ministère, consiste à passer en force au mépris de la transparence, des consultations, du travail de concertation au niveau national, sachons nous exprimer d’abord en signant la pétition Programmes et DNB : l’EPS maltraitée (snepfsu.net) qui donne du poids aux arguments du SNEP. Ensuite lors des journées formation déployées à grands renforts de moyens, qui risque de n’être qu’une entreprise de formatage, il faudra se saisir de cette tribune pour exprimer notre refus et le rejet de cette réforme, contraire aux valeurs de notre métier d’enseignant EPS.
Emmanuel ROEHRIG, pour le SNEP-FSU Alsace